26/09/2012
What the bleep do we know about reality ?
J’étais là, bien dans ma peau après les conclusions heureuses de mon dernier examen de santé, interpelant le garçon pour offrir à mon épouse la noisette du matin. Nous allions nous asseoir à la terrasse de ce café fameux depuis qu’un philosophe grand fumeur y installa sa table de travail. Mon épouse exprima le désir de s’absenter quelques instants. Je m’installai confortablement et balayai du regard mon environnement, avec plus ou moins de discrétion, à la recherche de courbes féminines, dirait mon épouse.
Les cafés noisette arrivèrent et je songeai qu’ils allaient refroidir si mon épouse n’arrivait pas bientôt. Je fus cependant distrait quelques instants par l’ondulation d’un superbe fessier qui déambulait sur le trottoir. Les cafés refroidissaient. Je plongeai mon regard à l’intérieur de l’établissement, sombre devant mes pupilles rétrécies par le soleil printanier. Rien. Je finis par me lever et me diriger vers le bar : toujours pas de présence de ma femme. Ah ? Légère inquiétude, interrogation : que se passe-t-il ? J’espère qu’elle n’a pas eu de malaise. Je me dirigeai ensuite vers les toilettes, au sous-sol. Toilettes des femmes, j’ouvre… personne ; la porte des WC, ouverte ! et personne ! Elle ne se serait pas rendue chez les hommes ? Non, là encore, personne. Au moins n’a-t-elle pas eu de malaise. Mais alors, où est-elle ?
Je remontai les marches deux à deux et balayai de nouveau la salle du regard : quelques personnes au bar devant un petit crème ou d’un petit blanc, d’autres assises, dispersées dans la salle, mais toujours pas d’épouse. Je sentis les battements de mon cœur s’accélérer et l’inquiétude me gagner vraiment. Je retournai sur la terrasse espérant contre toute vraisemblance qu’elle l’avait gagnée par un autre chemin. Les deux cafés étaient là, seuls.
J’interpelai le garçon, qui ne comprit pas tout de suite le sens de ma question et me regarda bizarrement. Lorsqu’il comprit, un fin sourire naquit sur ses lèvres et j’eus envie de l’étrangler, ce n’était pas drôle ! Même au bar, personne ne put me renseigner : oui, une dame était avec vous, non, nous ne l’avons pas vue depuis. Ah ça, c’est fort de café ! Je fis quelques pas dans la rue, à gauche et à droite, bêtement. Hébété. Elle ne pouvait pas avoir disparu ainsi, ça n’avait pas de sens. Des tas d’idées me passèrent par la tête : des hommes qui laissent leurs femmes en plan pour s’acoquiner avec leurs secrétaires et qui disparaissent sans laisser de trace ; des jeunes femmes enlevées en plein ville pour aller grossir le flot des prostituées blanches de Tanger… Je me surpris même à jeter un regard vers le ciel, probablement mû par le souvenir de l’Assomption de la vierge Marie !
J’avais envie de crier, de crier son nom : Catherine ! envie d’alerter toute la population ignorante du drame en train de se jouer sous leurs yeux, insouciante, terriblement insouciante. Un éclair de lucidité : téléphoner ! Je sortis mon mobile de ma poche et composai son numéro fébrilement, m’y repris à deux fois. Ça sonne !… une fois, deux fois… dix fois, elle ne répond pas. Furieux, je pensais qu’elle l’avait oublié encore une fois. De dépit et totalement déboussolé, je restai planté là, quelques larmes embuant mes yeux.
Catherine !
Les passants relevèrent la tête, cherchant qui pouvait bien pousser un cri pareil. Un amoureux délaissé, devaient-ils penser. J’ai eu envie de les haranguer pour qu’ils se mettent tous à sa recherche. Stupide !
J’entrepris donc de procéder de façon systématique, de retourner où nos pas s’étaient quittés et d’observer tout en détail. Je refis le trajet jusqu’aux toilettes, cherchant le moindre indice. Je remontai ensuite les marches, m’arrêtai pour analyser les lieux, me mettre dans sa peau, peser le pour et le contre de passer par la gauche ou par la droite. Je fis ensuite le tour de la salle, sous l’œil intrigué des buveurs.
C’est à ce moment que, passant devant le grand miroir qui recouvrait le mur du fond, je vis une forme qui arrêta mon regard. Une femme, de dos, dont le chignon… Catherine s’était laissé pousser les cheveux pour se faire un chignon ! Je m’avançai vers le miroir, me retournai pour voir où était la personne qui se reflétait dans le miroir. Je sentis la sueur perler à mon front, il n’y avait personne. Mon regard se tourna de nouveau vers le miroir. Catherine était là. Je regardai de nouveau dans la salle, puis dans le miroir, stupide. D’une façon inconsidérée, je m’en rendis compte, je m’approchai encore plus du miroir et frappai à la vitre. Je surpris les mouvements dans la salle, les clients qui se regardaient en se posant manifestement des questions. Ils devaient me croire fou. Le regard fixé sur l’image de Catherine, c’était elle, sans aucun doute possible, je vis arriver un homme qui vint s’asseoir à sa table et qui engagea la conversation avec elle. Elle lui répondait. Ils se connaissaient. Et…
Cet homme, maintenant que j’avais essuyé mes yeux embués, je l’ai reconnu… c’était moi ! J’étais là, immobile, debout, vacillant, et je voyais mon image, j’étais assis et je dégustais mon café tout en parlant avec mon épouse. Je me suis mis à trembler. Je paniquai. Cela dépassait l’entendement. Il m’était arrivé de faire ce qu’on appelle un voyage astral, quand, le corps allongé sur une couche, on a l’impression de quitter son corps et de s’en éloigner, de voir et d’entendre les choses d’un autre endroit, de voyager librement dans l’espace. Mais je n’étais pas allongé, mais je n’avais pas la sensation de quitter mon corps ! Bien au contraire, j’étais là, bien vivant, tremblant. Je n’avais même pas besoin de me pincer pour le savoir.
J’avais les yeux fixés sur ce couple improbable, impossible. Mon regard dans le miroir fit un tour, j’étais confortablement appuyé contre le dossier de ma chaise, avec toute l’apparence d’être heureux. Ses yeux passèrent sur moi et poursuivirent leur tour, puis soudainement, il revint se fixer sur moi. Je me vis le visage subitement décomposé, la mâchoire tombante, les yeux écarquillés. Je posai la main sur le bras de mon épouse et lui dit un mot. Elle se retourna à son tour et me vit. Elle posa son regard alternativement sur moi et sur moi. Elle se leva d’un bond et me fis face. Moi aussi. Je les vis tous les deux en train de m’observer. Je vis sur ses lèvres qu’elle prononçait mon nom. Ils s’approchèrent de la vitre et cherchèrent à voir ce qu’il y avait derrière. Je posai mes mains sur le miroir, elle en fit de même. Je prononçais son nom.
Derrière moi, je sentis que plusieurs hommes s’approchaient et m’entouraient. Ils se mirent à regarder dans le miroir, puis se tournèrent vers moi et me demandèrent si tout allait bien. J’ai voulu leur dire qu’il y avait quelqu’un derrière le miroir. L’un d’eux me prit par le bras. Je me débattis et criai de stupeur et de peur.
Je ne me souviens de rien d’autre. J’avais dû perdre conscience. Quand je repris conscience, j’étais allongé par terre, avec des tas de visages penchés sur moi. Je me suis demandé ce que je faisais là. Le visage de Catherine s’encadra dans mon champ de vision. Elle avait l’air très inquiète, je me suis demandé pourquoi. J’ai essayé de parler mais les sons ne sortaient pas de ma bouche. En revanche, j’entendais tout. Ils parlaient d’évanouissement, de cris cardiaque, de SAMU, de pompiers. J’avais envie de leur dire que tout allait bien mais le fait est que j’étais toujours dans le cirage. Catherine m’a donné deux petites tapes sur le visage, j’ai l’impression que j’ai souri, c’était bien la première fois qu’elle portait la main sur moi. Pouvais-je bouger ? Oui, j’ai remué un bras, puis l’autre. J’ai entendu des ouf de soulagement et Catherine m’a pris dans ses bras, elle avait dût être sacrément inquiète. Après, j’ai entendu ma voix, qui disait : « Tout va bien, ne vous en faites pas, je vais me lever ». Il m’a fallu encore quelques minutes avant de me retrouver assis sur ma chaise. Catherine me regardait avec un drôle d’air. Je lui ai demandé ce qui s’était passé. Elle a mis du temps avant de me répondre. C’était quand nous avions vu cet homme de l’autre côté de la vitre, qui me ressemblait tellement…
Cet homme ! Mon cœur fit un bond dans ma poitrine. Je me suis retourné d’un bloc vers la vitre, le cœur battant. Mais je n’ai rien vu. Pourtant, j’en suis absolument certain, il était là, les mains collées sur la vitre, et il essayait de nous dire quelque chose. Il appelait, j’en suis sûr, il appelait Catherine. Il se sentait comme dans une prison, dans l’incapacité de communiquer avec nous. Ma poitrine se serra de nouveau. J’avais très mal. Il souffrait, et je souffrais avec lui. Je souffrais comme lui. Je souffrais en lui, ou il souffrait en moi. Il était moi, c’était une certitude de tout mon être. Il y a eu un instant où j’étais des deux côtés de la vitre, c’est pour ça que je m’étais trouvé mal.
Depuis, j’ai essayé de comprendre, ces histoires de mondes parallèles décrits par la physique quantique ou par les chamans.
15:14 Publié dans - Les Nouvelles | Lien permanent | Commentaires (0)
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